Deux études scientifiques récentes délivrent un message simple : l’humanité doit réduire les émissions de carbone à une valeur proche de zéro pour stopper l’élévation de la température terrestre.
Par Juliet Eilperin, Washington Post, 10 mars 2008
La tâche de réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter une dangereuse augmentation de la température terrestre pourrait s’avérer bien plus difficile que ne l’avaient suggéré les recherches antérieures, avertissent les scientifiques qui viennent de publier plusieurs études montrant qu’il faut mettre un terme à toutes les émissions de carbone en l’espace de seulement quelques décennies.
Leurs résultats, parus ces dernières semaines dans différentes revues scientifiques, laissent entendre que les pays industrialisés et les pays en développement devront abandonner l’usage des combustibles fossiles dès le milieu de ce siècle, afin de prévenir le réchauffement qui pourrait modifier les modèles de précipitation et tarir les ressources d’eau de par le monde.
Mettant en oeuvre des modèles informatiques de pointe qui tiennent compte du réchauffement des couches profondes de l’océan ainsi que d’autres aspects du cycle du carbone qui crée et élimine naturellement le dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère, ces scientifiques originaire des États-Unis, du Canada et d’Allemagne, délivrent un message simple l’humanité doit réduire les émissions de carbone à une valeur proche de zéro pour stopper l’élévation de la température terrestre.
« La question est celle-ci : que faire si nous ne voulons pas que la terre se réchauffe encore plus ? » S’interroge Ken Caldeira, chercheur au Carnegie Institution et co-auteur d’un article publié la semaine dernière dans la revue Geophysical Research Letters. « La réponse implique un changement bien plus radical de notre système de production d’énergie que les gens ne l’imagine ».
Bien que de nombreuses nations se soient engagées en faveur de mesures destinées à freiner les émissions depuis près d’une décennie, la production mondiale de carbone ayant pour origine l’activité humaine s’élève à environ 10 milliards de tonnes par an et augmente constamment.
L’objectif de zéro émissions apparaît largement hors de portée pour les dirigeants politiques aux USA comme dans le reste du monde, tout au moins pour l’instant. Aux USA, les responsables commencent à peine à s’attaquer à la mise en œuvre de limites contraignantes sur les émissions de gaz à effet de serre. Le Sénat s’apprête à voter en juin une législation qui permettrait de réduire les émissions américaines de 70% en 2050, et les deux candidats Démocrates à la présidence, Hillary Clinton et Barack Obama prônent une diminution de 80%. John McCain, le candidat républicain est quant à lui favorable à une réduction de seulement 60% au milieu du siècle. [… réactions de politiques américains…]
Jusqu’à présent, les scientifiques et les décideurs ont généralement décrit le problème en termes d’un arrêt de l’accumulation de carbone dans l’atmosphère. La Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a abordé la question sous cet angle depuis 20 ans, et de nombreux experts recommandent de limiter la concentration de CO2 à 450 parties par million (ppm).
Mais M. Caldeira, tout comme le professeur Andreas Schmittner l’Université de l’Etat de l’Oregon affirment désormais qu’il serait plus judicieux de se donner pour objectif un seuil de température, qui constituerait un meilleur critère lorsque la planète connaîtra de graves perturbations climatiques. La terre s’est déjà réchauffée de 0,76 degrés Celsius au-dessus de niveaux pré-industriels. La plupart des scientifiques considèrent qu’une augmentation de température de 2 degrés Celsius pourrait entraîner de graves conséquences.
M. Schmittner, qui a dirigé la publication parue le 14 Février dans la revue Global Biogeochemical Cycles, déclare que la modélisation qu’il a utilisée montre que si les émissions mondiales continuent sur un rythme « business as usual » jusqu’à la fin de ce siècle, la terre se réchauffera de 4 degrés Celsius d’ici 2100. En prolongeant la simulation d’une poursuite des émissions jusqu’en 2300, il arrive alors à un chiffre de près de 10 °.
« C’est énorme », s’exclame M. Schmittner. « J’ai été frappé par le fait que le réchauffement se poursuit bien plus longtemps même après que les émissions aient diminué …. Nos actions aujourd’hui auront des conséquences pour de très nombreuses générations. Pas seulement pour une centaine d’années, mais des milliers d’années. »
Alors que les cycles naturels absorbent environ la moitié des émissions humaines de dioxyde de carbone de l’atmosphère en une centaine d’années, une partie importante persiste pendant des milliers d’années. Une partie de ce carbone est responsable du réchauffement en des océans, qui contribuent ensuite à l’élévation de la température mondiale moyenne, et ce même après l’arrêt des émissions de gaz à effet de serre.
Les chercheurs ont prévu depuis longtemps que le phénomène du réchauffement climatique persisterait, même après que les émissions aient commencé à décliner et que les nations auront à diminuer celles-ci de façon spectaculaire afin d’éviter de graves changements climatiques. L’an dernier, le rapport du Groupe d’Experts Intergouvernemental des Nations Unies sur les changements climatiques avait averti que les pays industrialisés auraient à réduire leurs émissions de 80 à 95% d’ici 2050 pour parvenir à limiter les concentrations CO2 sous l’objectif de 450 ppm. Globalement, l’ensemble des émissions de la planète doivent décroître 50 à 80%.
Stavros Dumas, le Commissaire à l’Environnement de l’Union européenne, qui s’est rendu à Washington la semaine dernière pour y rencontrer les fonctionnaires de l’administration américaine, a déclaré que lui et ses collègues travaillent sur l’hypothèse selon laquelle les pays développés doivent réduire leurs émissions de 60 à 80% vers le milieu du siècle, avec une réduction globale de 50%. « Si cela ne suffit pas, le bon sens commande que nous ne laisserons pas détruire la planète, » a-t-il affirmé.
Ces deux nouvelles études scientifiques définissent le défi à relever de manière plus détaillée et sur une échelle de temps plus longue, que ne le faisaient de nombreuses études antérieures. Ainsi, l’étude conduite par M.Schmittner tente de modéliser les la température terrestre pour les 2 millénaires à venir.
Pour certains chercheurs dans le domaine du climat, partisans d’une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, il est irréaliste d’attendre des hommes politiques qu’ils prennent en compte des durées aussi longues.
« Les gens n’ont pas du tout commencé à réduire les émissions, et d’autant moins à discuter si ce sont 88% ou 99% qui seraient suffisant, » objecte Gavin A. Schmidt, du Goddard Institute for Space Studies de la Nasa. « C’est comme si vous vous lanciez dans un trajet de New York à la Californie, et qu’avant même de démarrer, vous discutiez de l’endroit ou vous aller vous garer une fois arrivé. »
Brian O’Neill, du National Center for Atmospheric Research souligne que règnent encore certaines incertitudes en ce qui concerne l’intensité du cycle naturel du carbone et la dynamique du réchauffement des océans, facteurs qui à leur tour affectent la précision de la modélisation effectuée par M. Caldeira. « Aucun de ceux-ci sont connus avec précision, » note-t-il.
Bien que des modèles informatiques utilisés par les scientifiques pour prévoir les changements climatiques soient de plus en plus puissants, les scientifiques reconnaissent qu’aucun modèle n’est un parfait reflet des dynamiques complexes qui y sont à l’œuvre, ni de leurs évolutions dans le temps.
Néanmoins, la modélisation, précise O’Neill, « aide à clarifier la réflexion sur les objectifs politiques à long terme. Si nous voulons réduire le réchauffement à un certain niveau, il y a une quantité déterminée de carbone que nous pouvons répandre dans l’atmosphère. Une fois celle-ci atteinte, nous ne pouvons plus du tout continuer à en émettre. »
M. Caldeira et son collègue, H. Damon Matthews, professeur de géographie à l’Université Concordia à Montréal, insistent sur ce point dans leur rapport, concluant que « chaque unité d’émission de CO2 doit être considérée comme induisant un changement climatique quantifiable quasi permanent sur une échelle de plusieurs siècles. »
Steve Gardiner, professeur de philosophie à l’Université de Washington, qui étudie les changements climatiques, juge que ces études font illustrent le fait que la discussion au sujet du réchauffement de la planète relève d’un « débat classique entre les générations, où nous bénéficions des avantages à court terme des émission de carbone mais où leurs dangers sont en grande partie reportés sur les générations futures. »
Quand il s’agit de décider du niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre, estime M. O’Neill, « en fin de compte, il s’agit d’un jugement de valeur, et non pas d’une question scientifique. » L’idée de passer à une société sans carbone, ajoute-t-il, « paraît techniquement possible. La question est de savoir si c’est réalisable sur le plan politique ou économique. »
Publication originale Washington Post, traduction Contre Info
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